Un sujet qui fâche
La prostitution reste un des sujets sensibles. J’ai l’occasion de l’aborder suite à des observations ou échanges que j’ai eu, notamment grâce à quelques années passées sur l’Île de la Réunion et en région Bourgogne. Sans oublier des espaces sur le web : outils de communication importants.
Je me suis penchée exclusivement sur les travailleusEs du sexe (plutôt hétéros), en écartant malgré moi les autres personnes et orientations car le contexte s’est imposé de la sorte. Cela sera donc assez binaire.
La prostitution est perçue comme une oppression à très juste titre, mais le sujet est plus complexe encore.
L’illusion du choix
J’ai échangé avec une femme dont le choix était parfaitement assumé, c’était sa manière de vivre sa sexualité. Un fantasme qu’elle jugeait utile, qu’elle pouvait tarifer à sa guise. C’est ce qu’elle expliquait par la même occasion sur des forums.
Le profit est toujours réservé aux mêmes me dirais-tu. Cet exemple est loin d’être représentatif des réalités.
D’autres indépendantes clament aussi parfois un choix délibéré mais restent avant tout bloquées sous une détresse financière, sociale, professionnelle. Une oppression d’Etat. Quel meilleur proxénète que celui-ci ?
Si des lois veulent pénaliser les clients, c’est un procédé pernicieux qui ne fait que cacher le réel fond du problème.
Dans l’histoire, on ne fait encore que jeter la pierre en la faisant rebondir par ricochets. Il faut masquer, diaboliser, c’est le sujet honteux dont on se garderait bien et qui pourtant arrange sur certains points. Mais regardez, on empêche sans réellement empêcher, on découvre la notion de racolage passif…on ne comprend plus trop : qui est la cible alors ?
Ce que l’on admet comme tabou n’est-il pas finalement ordinaire pour le « plus vieux métier du monde » ?
Il deviendrait même parfois glamour, c’est « Pretty Woman » qui te le dis.
Il paraît que l’on traque sans relâche les bandes organisées. Qui sont-elles, où se cachent-elles réellement ? dans les pays de l’Est nous répond-on souvent. La vérité est toujours ailleurs. Comme un air de série Matrioshki.
Chez les civilisé.e.s, il n’y a que les marginaux.les qui se retrouvent là-dedans : la faute à pas de chance, c’est sûr que ça ne risque pas d’arriver à n’importe qui. Faire le tapin c’est comme attraper une maladie. Avant, on disait que t’étais une « fille ».
Que dire alors de ces étudiantes qui entrent désormais dans le système cannibale.
Voit-on la face vraiment cachée de l’iceberg ? certes non, l’on aurait affaire à de fâcheuses découvertes…il vaut mieux détourner l’attention.
On dit toujours que derrière une travailleuse se cache un maquereau (bien que les maquerelles existent aussi) : attention spécifiquement à ce qu’elle ne soit pas mariée ou qu’elle n’ait une vie sentimentale. Dans sa position elle ne peut avoir de vie privée, on en conclut qu’elle est soumise par défaut.
Elle a aussi droit à des clients-héros qui veulent la sortir de là. Ils sont tombés amoureux, une illumination leur ordonne d’offrir leur précieux secours.
Le client est roi
Toujours sur les forums spécialisés, certains clients – punters, pardon – admettent tirer avantage de cette situation (ho, vraiment ?) et se satisfont de pouvoir user de pratiques qu’ils ne peuvent appliquer avec compagne/copine (même celle d’un soir, dur !).
Ils se filent entre eux les bons plans comme on déguste un bon restau, comparent rapport qualité-prix d’une russe VS une française (réputée pour rechigner à la tâche et se la péter), se gargarisent du privilège de profiter de petites faveurs grâce à leurs bonnes manières et leur sex appeal. Les habitués Don Juan savent définitivement reconnaître les objets de valeur et possèdent une certaine éthique : consommation de pute épanouie élevée avec le sourire, sinon rien – on n’est pas des salauds.
La plupart sont visiblement en lutte contre leurs pulsions (*alerte psychopathe*)…quand ils ne s’érigent pas en juges.
D’autres se plaignent : les tarifs restent encore trop élevés, c’est honteux. On leur fait bien assez de fleurs comme ça, on leur rend service, shit ! descendons tous dans la rue pour avoir notre propre esclave assignée !
Il existe autant de prostituées – pudiquement nommées « péripatéticiennes » quand ce n’est pas joliment décrit par « escorte », ou « hôtesse »- que de contextes.
DOM-TOM et Métropole, même combat (en fait non. il faudrait dans une autre chronique aborder l’impact du colonialisme, les effets persistants sur l’île de la Réunion entre autres).
La prostitution ne se résume d’ailleurs pas qu’à la rue. Pas plus qu’elle ne résume qu’aux grandes villes.
Et puis, il y a les « masseuses ».
Pas celles des « salons » qui ont pignon sur rue. Pas non plus des esthéticiennes (souvent confondues par ces messieurs en quête de bien-être).
Celles-ci travaillent dans leur appartement ou se déplacent. Malbars, zarabes, cafres, peu importe, à la Réunion beaucoup de femmes proposent leurs services par ce biais.
Un site nommé « Mascareignes » en a fait les frais : les annonces qui y étaient publiées faisaient la visibilité du milieu, jusqu’à ce que les autorités s’en mêlent. Une stratégie de camouflage bien tentée.
Depuis, tous les sites de petites annonces sont sous haute surveillance : à commencer par le célèbre Vivastreet (qui ne fait payer que des annonces ciblées…je te laisse deviner lesquelles).
Pour ces femmes, il faut user d’astuce surtout dans le choix des mots. Comprenne qui pourra lorsqu’elles répondent au téléphone (« vous faites les finitions ? »).
La division empêche parfois la solidarité : descendre ses concurrentes ou répandre des rumeurs, récolter des infos par le concours de clients qui s’amusent de ce petit jeu est également monnaie courante.
Pourtant, la communication est le pilier essentiel pour les travailleuses qui dressent des listes noires des clients les plus dangereux. Une aide précieuse dans un environnement où rester sur ses gardes au quotidien devient un réflexe.
Ailleurs en zone rurale
Sur une petite route en Bourgogne marchent régulièrement deux femmes d’une quarantaine d’années. Leur point de chute : une aire où s’arrêtent les routiers.
Je les croisaient chaque jour en prenant le train. Méfiantes au premier abord, elles m’ont lâché parfois quelques phrases, en prenant bien soin de ne jamais en dire trop.
Originaires de Roumanie, elles disent avoir été rejetées par leur famille, et ont très souvent laissé enfants derrière elles.
De la périphérie de Paris, elles sautent dans le TER matin et soir, se font parfois rabrouer par les contrôleurs/ses mais les passager.e.s préfèrent généralement les ignorer. Dans ces petits trains il est aisé de connaître les professions de certain.e.s.
Epuisées mais conservant autant que possible bonne humeur, se soutenant mutuellement, se faisant parfois expulser du territoire puis revenant grâce à des économies.
Le compartiment très généralement pour elles-seules, les blagues fusent.
Les journées commencent très tôt, elles se débrouillent ensuite à ne pas rentrer trop tard car les moyens de transport sont assez limités.
Lorsque je leur demande ce qui les fait rire, ces dernières répondent :
» Les gens du train, ils ont chacun leur petit siège comme ça *mime une personne assise droite* alors que nous on est toujours ensemble « .
J’ai peine à suffisamment imaginer le quotidien de ces femmes qui survivent et rencontrent le masculinisme perpétuel. Le soutien silencieux vaut parfois mille paroles ou questions, complètement déplacées dans ce cadre.
L’abolitionnisme semble une solution idéale, cependant les concernées ont certainement un vécu qui passe au-delà du militantisme, résolues à une vie qui ne leur offre pas d’autres alternatives.
Si les réseaux organisés se font la part belle, c’est en réalité une société entière qui est à démanteler : la nôtre.
Si tu veux en savoir plus sur l’histoire de la prostitution en France : ici.
Il existe un syndicat qui lutte pour la reconnaissance des droits des travailleurSEs du sexe.